Laetitia Lesaffre oeuvres photographiques
Laetitia Lesaffre oeuvres photographiques

Arrivé à Paris, il se croit sorti d’affaire. Il essaye de rejoindre le camp de migrants porte de la chapelle, mais il est en plein démantèlement. Soufiane est contraint de dormir dans la rue, gare du nord. Il se rend à l’hôpital Lariboisière, poussé par des douleurs atroces au ventre. Là il est accueilli par l’assistante sociale qui lui conseille de se rendre à l’ADJIE. Celle-ci n’étant ouverte que le mercredi soir, il dort deux nuits supplémentaires dehors. Puis il se rend à la croix rouge, où il est refusé, deux fois : ils contestent la véracité de ses documents d’identité, et il parle trop bien, ‘comme un adulte’. Il se rend au commissariat, où il est frappé.

Avec l’ADJIE, il saisit le juge pour enfants, il est alors accepté par le dispositif d’aide provisoire aux mineurs isolés, et au bout de 15 jours dans la rue, peut enfin être pris en charge par FTD.

Il va subir un test osseux dans un mois.

Soufiane a 15 ans. Il ne sait pas combien il a de frères et de sœurs, tout le monde est frère ou cousin dans son village. Son grand père était l’imam de la grande mosquée de Kouroucou. Il enseignait l’école coranique à ses enfants, et n’acceptait aucune autre éducation, exception faite de la couture. Son  père est donc devenu tailleur, et lui-même a appris à parler, à marcher et à coudre en même temps. Mais son père voulait tracer un autre chemin pour Soufiane Il a déménagé sa famille pour échapper à l’influence du grand père imam, et a envoyé son fils à l’école. Il avait de grands projets pour son fils.

A la mort de son père, son oncle, musulman très pieux, devient le chef de famille. Les choses se gâtent. Il interdit Soufiane d’aller à l’école, le maltraite ainsi que sa mère, qu’il traite de sorcière. Soufiane veut à tout prix faire honneur à la mémoire de son père et reprendre des études. Il fuit la maison familiale, et décide alors de rejoindre l’Europe.

Soufiane raconte aussi l’enfer de la traversée en méditerranée. Il attend, des semaines, dans un camp. Enfin, c’est cette nuit. Il attend au bord de la mer, des tirs éclatent, quelques migrants sont touchés, il doit s’enfuir. Ils reviennent à la nuit tombée pour embarquer. Ils pompent pour gonfler les boudins du zodiac. 136 personnes à bord, sans boussole ni talkie-walkie, et 10 gilets de sauvetage seulement. Soufiane ne sait pas nager, il a la phobie de l’eau. Avant de monter à bord, il prie. Serré sur un boudin qui menace de prendre l’eau à cause de la surcharge, il prie. Sa terreur est plus forte de se faire prendre par la police libyenne ou tunisienne, et de se faire jeter en prison en Libye, que de couler.

Trente minutes après le départ, vers 4h du matin, le moteur du bateau s’arrête, et il entend au loin les pales d’un hélicoptère. ‘A ce moment-là, tu sais que tu n’es plus fort ou faible, tu ne peux rien faire, entre vivre ou mourir, Dieu seul décide’. Deux migrants vérifient le moteur, le bateau repart, tout doucement, et garde le cap qu’on leur avait fixé au départ pendant 6 longues heures. Interminables. Soufiane a fermé les yeux, transi de froid, et prié. Un bateau de la marine italienne les repère alors, et fait embarquer tous les migrants à bord. Ils sont alors pris en photo, numérotés, nourris et réchauffés. Le voyage jusqu’à Palerme durera encore 33 heures.

Arrivé à Palerme, il est placé dans un camp près de Mazarra. Il n’a alors plus d’argent et se fait passer pour adulte pour pouvoir travailler dans les champs.

Il fera les vendanges pendant une semaine, puis avec son salaire en poche, comprenant que pas un seul migrant ne va à l’école en Sicile, il reprendra la route, jusqu’à Naples, puis Milan en Bus, puis Vintimille en train. Il passera la frontière à pied, avant de reprendre un bus, puis un train jusqu’à Paris.