Depuis notre rencontre, Koffi a disparu.
A-t-il fugué ? S’est-il retrouvé dans un réseau ? A-t-il fuit pour rejoindre la Suède ? Je n’en sais rien et les éducateurs non plus. Je n’ai plus aucune nouvelle.
Koffi est arrivé en France en Novembre 2016, après un périple de 7 mois. Ainé d’une famille de 7 enfants, il a 16 ans et part de Somalie en rêvant à des jours meilleurs pour lui et sa famille.
Il traverse alors le Soudan, passe par la plaine désertique du Darfour, en voiture, parfois à pied, traverse la frontière libyenne. Là les ennuis commencent : il se fait kidnapper deux fois en Lybie par des milices. La première fois, la milice rançonne sa famille, puis le relâche. La deuxième fois, sa famille n’a plus d’argent, il devient leur esclave et travaille dans les champs pendant 5 semaines pour payer la rançon. ‘Human is like a dog for Lybie people’ résume Koffi pour décrire ces semaines d’enfer. Puis il arrive quelques semaines plus tard à embarquer sur un zodiac, au milieu de 350 migrants qui ne savent pour la plupart pas nager, et qui sont morts de peur. Perdu au milieu de la mer, le zodiac appelle après quelques heures de navigation périlleuse, les gardes côtes italiens par talkie-walkie. Ceux-ci viennent alors sauver la frêle embarcation, et les débarquent à Palerme. Sorti du centre de rétention car mineur, Koffi repart sur les routes et arrive finalement à Milan. Là, il prend un train pour Vintimille, où il essaie de passer la frontière.
Une autre épreuve l’attend. Car à Vintimille (côté italien), comme à Menton (côté français), cette frontière de l’espace Schengen, de cette Europe que nous pensions connaître ouverte et libre, pratique bien la libre circulation des capitaux et marchandises, mais, contrairement à ce que notre naïveté pourrait nous faire croire, ne pratique plus celle des hommes.
Cars de CRS, militaires, policiers de la PAF (police aux frontières) veillent : fouille systématique des trains, traque des migrants, centres de rétention. Il essaie le passage à plusieurs tentatives, infructueuses : il se voit reconduire inlassablement au point de départ.Il paye alors un passeur italien, qui lui fait passer la frontière en voiture et débarque à Nice. Il monte à bord d’un TGV en partance pour Paris. Il se fait arrêter par les contrôleurs dans le train. Après discussion, ils réalisent que c’est un enfant, et compatissants, le laissent voyager jusqu’à Paris. Il y arrive le 20 Novembre 2016 à 23h. Je l’écris ainsi car je remarque que comme beaucoup d’enfants que j’ai pu interviewer, Koffi se souvient parfaitement de son arrivée à Paris et en parle la gorge nouée. Il vit son arrivée ici comme un énorme soulagement, il est débarrassé de la peur au ventre qui ne l’a pas quitté pendant ses sept longs mois de voyage, et son horizon s’éclaircit enfin.
Après un passage par le camp de la Porte de la Chapelle et par la rue, il est pris en charge par la croix rouge française, et mis à l’abri en attendant la décision du juge.
Il se sent parfois démuni dans ce pays d’adoption dont il ne connait ni les lois, et les coutumes, ni la langue, mais aimerait dans ses rêves les plus fous devenir avocat ou juriste, et souhaite reprendre ses études arrêtées en Somalie, tout en travaillant pour les financer. Il adore le basket.